A notre époque, quant on attend un enfant, c'est une heureuse nouvelle, C'est la joie et toute la famille entoure la future maman.
Pour cette petite fille là :
en 1943, ce n'est pas la même chose, elle est comme on lui a dit souvent : "un accident". Pas de lit préparé à la maison, pas de jouets, pas de câlin. Née à Paris dans le petit pavillon d'une sage femme du côté de la Butte aux cailles.
Dès sa sortie, la maman la dépose chez une nourrice à Herblay ; de braves gens Monsieur et Madame Parent, ils lui donnent certainement de l'affection. Ils ont une brave tête ces gens là.
Le dimanche, la maman vient la voir, la promène, la photographie. Au bout d'une année, la grand-mère mise dans la confidence vient elle aussi lui rendre visite. Elle revient plusieurs fois, mais à chaque fois le grand-père n'est pas là ; il ne sait pas.
Au bout de 24 mois ; un dimanche la grand-mère dit : "cette petiote, elle va bientôt dire papa et maman à des étrangers, ce n'est pas normal", c'est décidé, je la ramène chez moi. Le grand-père sera bien obligé de craquer, elle est si mignonne.
Ni une, ni deux, la petite fille va effectuer son premier voyage par le train. Nous sommes les derniers jours de la guerre. Pendant le trajet une alerte, le train s'arrête, les voyageurs descendent, se blottissent dans le fossé. Sous le vacarme des avions et des bombes, la petite fille se serre contre sa grand-mère, tellement elle à peur ; longtemps après le tonnerre lui fera le même effet. L'alerte passée, le train poursuit son chemin.
Le grand-père ne s'attend pas à voir rentrer sa femme de Paris, avec une si jolie petite fille dans ses bagages. Il tombe rapidement sous le charme et lui ouvre sa maison et son coeur.
La maman continue à venir voir sa fille une fois par mois. Un jour elle vient avec le papa ; mais voyez-vous la photo familiale est coupée, car le papa n'est pas le bienvenu.
La petite fille grandit, entourée de l'affection de ses grands-parents. Une seule fois elle revoit ses parents nourriciers qui viennent lui rendre visite. Ensuite, plus jamais. Elle ne sait pas ce qu'ils deviennent. Souvent, en grandissant elle se pose la question "que deviennent-ils" ?. Elle essaie d'en parler, mais bien vite elle comprend qu'il vaut mieux oublier. Il ne faut pas s'attacher à des étrangers.....
Remarquez, la petite fille est toujours souriante, tout comme la jeune femme d'hier, tout comme la grand-mère d'aujourd'hui.
Le papa est divorcé, il a un garçon un peu plus grand "Claude", une fois il vient rendre visite à sa petite soeur ; mais lui non plus n'est pas le bienvenu, il ne reviendra jamais.
Quand la petite fille a les oreillons, on immortalise l'évènement. Il faut savoir que dans cette famille on aime photographier.
Il y a également la première photo de la fête de l'école. Les grands-parents confectionnent l'habit du jour, la grand mère se met à la couture et le grand-père aux armatures en fer, après tout c'est son métier le fer. Superbe n'est-ce-pas le joli papillon ?
En 1949, la maman amène à la maison un nouveau papa. En 1951, ils se marient, elle n'est pas peu fière la petite fille d'aller au mariage de sa maman, le nouveau papa est gentil, et il est beau, il a même dit :"je prends la mère, je prends la fille" ; banal maintenant, sauf qu'à cette époque c'est loin d'être fréquent.
Il a toujours été son papa, même si à un moment de sa vie elle a recherché son papa biologique.
La petite fille pense, qu'elle va aller vivre avec eux. C'est mal connaître sa maman, tous les deux travaillent et un enfant "soit disant" ne se fait pas garder dans la journée.... Donc la solution c'est : la pension.
Saint Thomas de Villeneuve à St. Germain en Laye
La petite fille n'a que 9 ans, pas facile de se retrouver entourée de petites filles du même âge, de religieuses qu'elle ne connaît pas ; obligée d'apprendre à faire son lit toute seule, à tout partager en ne voyant ses parents qu'en fin de semaine, et retourner aux vacances scolaires auprès de ses grands-parents.
Soeur Jean Climaque, celle qui durant ces nombreuses années sera sa maman de substitution, à qui elle confiera beaucoup de ses secrets, qui chaque samedi à 16 heures conduira tous les enfants qui sortent chez leurs parents jusqu'à la gare St. Lazare et qu'elle reprendra le lundi matin.
Un dimanche après-midi dans le parc du château de Versailles. La petite fille fière d'arborer la croix d'honneur.
Cette vie, loin d'une vie familiale comme elle souhaite, dure jusqu'à ses 18 ans.
Entrecoupée de chaque année 3 semaines de grandes vacances avec ses parents, seuls moments de partage journalier avec eux. Un des moments précieux qu'elle garde au fond de son coeur.
Alors, comment se construire une vie d'adulte toute lisse dans ces conditions ? Heureusement la petite fille en grandissant a du caractère, de l'ambition et apprend à se débrouiller seule. La seule chose qui la poursuit toute sa vie, c'est le manque d'amour visible, le manque de complicité avec sa maman, le manque d'être comme les autres petites filles.
Rien n'est facile. Mais à l'automne de sa vie, la petite fille fait le bilan en regardant dans le rétroviseur et elle se dit : "Ma vie n'est pas celle que j'ai souhaitée, mais "Bon Dieu" comme elle est enrichissante cette vie, j'ai fait des choses sympas et maintenant je suis une femme épanouie et une grand-mère comblée". Alors que demander de mieux.
Je ne voudrais pas que l'on pense que je me plains et que j'ai eu une enfance malheureuse. Non mon enfance n'a pas été malheureuse, elle a seulement manquer des ingrédients essentiels pour avoir une vie équilibrée et heureuse.
Toutes nos vies sont différentes, il faut savoir en tirer le meilleur et toujours garder l'espoir.